Imaginons un instant non
pas l’utopie, mais le possible, donc le réel – à une échelle modifiée :
imaginons que, samedi prochain, le 15 février, non pas deux cents, comme la
semaine dernière, mais deux cent mille Syriens affamés montent, sous la
protection de Casques bleus et d’officiers de la Croix Rouge internationale,
dans des convois automobiles et aériens qui les arrachent à l’incendie et à la
mort lente ou violente répandue sur Homs ou Alep, et les déposent, pour
commencer, dans des camps installés pour eux dans les pays avoisinant le
théâtre de la guerre, voire plus loin. Imaginons que, pour abréger autant que
possible le séjour dans de tels lieux de survie provisoires (toujours menacés
de se transformer en « bidonvilles » à perpétuité), on lance en même
temps, mieux que de vagues signes dispersés de solidarité, une vaste campagne
d’accueil à ces rescapés, les nantis que nous sommes s’engageant d’avance à
parrainer, chacun à hauteur de ses moyens propres, tous les malheureux qui,
voyant la guerre civile s’éterniser, renonceraient – n’ont-ils pas des enfants
à élever ? – au retour et se prépareraient à quitter une patrie sinistrée,
de toutes manières devenue inhabitable pour longtemps. Voilà pour l’objectif,
le plan d’ensemble, qui n’a rien d’extravagant ni de loufoque – ce qui vient de
réussir pour deux cents âmes faisant ballon d’essai convaincant ; quant au
parrainage, à aménager dans ses détails pratiques et juridiques, il bénéficiera
lui aussi d’un précédent, la journée du Ruban blanc qu’avaient organisée il y a
un an environ des précurseurs peu suivis parce que trop discrets dans leur
publicité.
Quant
aux moyens ? J’en vois de deux sortes. L’un consiste, sur la frontière sud
de la Turquie, à obtenir d’Ankara la définition d’un couloir humanitaire sous protection
militaire des Nations-Unies – bandeau de territoire suffisamment vaste pour y
monter des villages de toile qui serviront de première base provisoire aux rescapés. Pourquoi la
Turquie ? Parce que les frontières sud de la Syrie sont déjà rongées par
la guerre, et parce que l’opération ne peut garantir un minimum de sécurité à
une telle première vague d’émigration organisée dans l’urgence qu’en
s’éloignant autant que possible des lignes arrière du conflit, donc de la zone
libanaise, irakienne et iranienne.
L’autre
moyen s’offre au nord de la Turquie, au bord de la mer Noire. La gentry sportive internationale réunie à
Sotchi pour quelques jours a largement les moyens de négocier avec Moscou le
principe d’une démarche visant à réunir d’urgence le Conseil de Sécurité des
Nations-Unies et à y faire adopter le programme d’intervention ci-dessus
esquissé – face à l’évidence du massacre en cours (il se situe à mi-chemin du
crime de guerre et du crime contre l’humanité) et à la certitude que cette
guerre civile syrienne, non seulement va durer, mais risque même chaque jour de
s’étendre. Disons-le nettement : de par son capital de prestige, de
beaucoup supérieur à celui des plus grands noms de l’art ou de la science, la
petite élite bien vitaminée des patineurs et des skieurs en villégiature
olympique en Géorgie a, pour agir avec efficacité et sobriété auprès des responsables russes, beaucoup moins de
temps mais beaucoup plus de poids
que n’importe quel « grand dirigeant ». Tout aussi nettement, disons
aussi ceci : sollicitée par la Russie, et venant aujourd’hui, la saisine du Conseil de Sécurité, chacun le
comprend sans peine, ne se fera pas attendre,
ses résultats non plus.
Sportifs
de Sotchi, faites le premier pas ! Aidez la société civile broyée par la
guerre et le fatalisme !
J.-L.
Evard, 9 février 2014
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